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| - À tâtons, Genn arracha un morceau de tissu de sa gibecière et le plaça sous la doublure de son pourpoint, au niveau de l’épaule. Il remonta un peu plus le col de sa cape et retint un gémissement. « Seigneur Grisetête ! Où êtes-vous ? » Godfrey le cherchait dans la forêt. Genn remonta son col aussi haut que possible. Sa blessure le brûlait et le faisait haleter de douleur. « Oui... Je suis... Je suis là. J’ai eu la bête ! » répondit Genn en criant, espérant pouvoir les tromper. Il s’éloigna lentement du corps en respirant nerveusement par saccades, et s’agenouilla maladroitement pour nettoyer ses mains ensanglantées dans l’herbe humide. La langue du worgen pendait sur le côté tel un ruban rose, et les yeux vitreux de la bête semblaient l’accuser du regard.
* * * « Père ! hurla Tess, en voyant le navire disparaître sous la mer. — Retournez à la flottille. Maintenant ! Je vais aller le chercher. Allez ! aboya Talar depuis la proue du canot de sauvetage. — Je vous en prie... S’il vous plaît, ramenez mon époux, le supplia Mia. — Je ferai tout mon possible, reine Grisetête. » Sur ces mots, Talar plongea dans la mer. Sous la surface de l’eau, il se transforma en lion de mer, une forme qu’il avait perfectionnée au fil des millénaires. Elle lui était très utile en tant que marin. Il apercevait l’Éclat d’Élune qui sombrait dans les profondeurs, englouti peu à peu par les ténèbres. Genn nageait de toutes ses forces, aspiré sans cesse vers les profondeurs. La pression dans ses poumons était insoutenable. Il sentait son esprit faiblir, n’espérant qu’une douce libération, pour ne plus sentir cette brûlure dans la poitrine, cette pression dans les oreilles. Au bord de l’inconscience, son esprit s’emballait, divaguait, ressassant des souvenirs. La douleur qu’ils provoquaient était peut-être la seule chose qui l’empêchait d’abandonner. Il revit le jour où les worgens avaient attaqué la ville de Gilnéas... La silhouette d’une mystérieuse prêtresse elfe de la nuit qui lui était déjà apparue, l’avertissant d’un danger imminent... Son fils motiver fièrement son peuple pour combattre les Réprouvés. Il revoyait son peuple rallier le jeune prince, l’espoir se dessinant sur leur visage. Il se souvint très nettement de la fierté qu’il avait éprouvée envers le jeune homme qu’il avait élevé. Mais il s’affaiblissait rapidement. Il n’aurait bientôt plus la force de rester accroché à l’encadrement de porte auquel il s’était cramponné. Il sentait les courants l’aspirer vers le bas. Tu dois voler de tes propres ailes, mon fils. Tu peux faire tout ce que tu veux si tu en as le cran, et si tu as envie de voler de tes propres ailes. La voix de son père résonnait dans un coin de son esprit. Je sais, père. Je sais. Comme si Genn avait bu l’une de ces potions rouges concoctées par les apothicaires, la voix de son père lui donnait un regain d’énergie. Il s’élança en avant, les yeux mi-clos, l’esprit presque vide. Tu peux te surpasser à un point que tu n’imagines même pas !
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