abstract
| - Lorsque l'apiculteur signale les influences de l'environnement, il pense inévitablement aux contraintes qu'exerce ce milieu sur les heurs et malheurs de ses abeilles. Par contre, il oublie totalement que l'environnement dans lequel il se trouve a aussi une influence sur lui-même et sur ses actions. Que nous en soyons conscients ou non, notre environnement nous met sans cesse devant de nouvelles exigences auxquelles il faut trouver des réponses; de ce fait, elles nous conduisent vers des chemins que l'on n'aurait jamais empruntés autrement. Ce n'est que bien plus tard que l'on prend conscience de cette réalité. Notamment lorsque l'on s'attache à faire une rétrospective, comme je le fais aujourd'hui. Les relations et l'interpénétration des différents événements prennent alors une grande netteté. On observe alors combien une impulsion a déclenché une réaction qui, à son tour, en déclenche une autre, suivie d'une nouvelle réaction et ainsi de suite. Des catastrophes ou des revers de fortune soulèvent souvent des problèmes que l'on doit résoudre sans détour. Ainsi, on est soumis à des réalités auxquelles on n'avait jamais été confronté, faute d'une nécessité urgente. Une de ces catastrophes m'a littéralement contraint, il y a 60 ans, alors que j'étais jeune apiculteur, de m'occuper de façon intensive des grands problèmes apicoles, car l'Angleterre était dévastée par l'acariose. Celle-ci commença ses ravages en 1914 dans notre comté du Devon. C'est dans l'île de Wight que cette épidémie s'était manifestée la première fois. Six ans auparavant, elle avait déjà sévi dans de nombreuses régions d'Angleterre. En automne 1915, le spécialiste apicole du Devon nous déclara que nous n'aurions plus une colonie vivante au printemps 1916. D'un peu plus, ses prédictions faillirent être correctes. Sur 46 ruches mises en hivernage, il nous en resta 16 qui, toutes, avaient un mélange de sang de CARNICA (carniolien) ou de LIGUSTICA (italien). Certes, elles avaient également souffert, mais elles devinrent à nouveau productives. A la mi-mai, un printemps propice nous permit de former un grand nombre de nuclei, au point d'atteindre au cours de l'été le même nombre de colonies que l'année précédente. Elles furent toutes pourvues de reines italiennes importées et leur développement fut magnifique. Avec les colonies restantes, elles nous fournirent une bonne récolte de miel. Ce fut heureuse circonstance que la miellée de trèfle blanc n'eut lieu, cette année-là, qu'à la mi-juillet. Le fait que, dans l'hécatombe générale, certaines colonies de notre rucher ne furent pas la proie de l'acariose, m'obligea, en tant que jeune apiculteur, à réfléchir sur l'importance capitale de l'hérédité des différentes races d'abeilles. Je me retrouvais en plein dans la trame des questions et des problèmes qui assaillent un éleveur. Non seulement l'acariose fut vaincue, mais aussi, du même coup, les maladies du couvain, gênantes et inhérentes à la race anglaise autochtone; cela grâce à l'apport de ce qui restait de nos propres colonies et d'une nouvelle race sous forme de reines italiennes. Ainsi, la vieille tradition attachée à l'abeille indigène fut balayée. Toutes les ruches en paille disparurent ainsi que l'apiculture primitive, voire les abeilles exploitées par les paysans. Les jardins de nombreux villages ou des villes se vidèrent des abeilles, qui ne s'y retrouvèrent plus jamais aussi nombreuses qu'avant. L'apiculteur qui ne pouvait s'adapter à cette nouvelle situation était éliminé. La vieille race d'abeilles anglaises est une branche de la race d'Europe de l'Ouest; c'est une Apis mellifica, donc une proche parente de l'abeille française. Elle s'est parfaitement adaptée aux conditions particulières de son milieu dont elle avait pris possession, venant du continent, après l'ère glaciaire, lorsque la Manche n'avait pas encore été submergée. Elle possédait de précieuses qualités, mais également des défauts extrêmes. Des apiculteurs anglais ayant pignon sur rue étaient néanmoins à peu près convaincus que, malgré ses qualités négatives, il n'y avait pas de meilleure abeille possible adaptée à leur milieu. Ces gens se trompaient lourdement. L'acariose a non seulement anéanti leurs abeilles, mais elle a aussi balayé impitoyablement les fausses interprétations. Le changement de l'environnement avait été fatal à cette abeille n'ayant pas de réponse à ce changement. Comme je l'ai déjà signalé, seules les colonies qui avaient en elles du sang de Carnica (carnioliennes) ou de Ligustica (italiennes) survécurent à l'épidémie dans notre rucher. Ces colonies avaient des reines importées ou des descendantes des reines importées, croisées avec des mâles indigènes. Malgré l'élimination de 90 % des colonies par l'épidémie, selon les chiffres officiels (et malgré l'inconnue qui demeura jusqu'à la fin de 1919 sur les causes de cette épidémie et les raisons de sa manifestation catastrophique), on se rendit quand même compte que les races importées et leur croisement s'avéraient, en partie, résistants contre cette maladie. La reconstitution de l'apiculture anglaise à l'aide de l'abeille italienne s'est faite avec l'appui des autorités. Le rucher du monastère de Buckfast a, lui aussi, énergiquement contribué à cette reconstitution. Dans les années 1918 et 1919, des centaines de nuclei venant de nos colonies partirent vers toutes les régions de l'Angleterre. Dès 1917, nous avons entrepris en conséquence, le renforcement de notre rucher, pour pouvoir sortir d'autres apiculteurs de leur détresse extrême. Comme je l'ai déjà indiqué, toutes les ruches n'avaient pas succombé à l'acariose dans les ruchers du monastère et cela grâce aux races étrangères qui y furent importées et introduites. Cette réalité influença nos efforts en apiculture de manière décisive. Les coups du sort que l'apiculture anglaise et nous-mêmes avions dû encaisser montraient nettement qu'en élevage et en sélection il est bon de ne pas se laisser enfermer dans des cercles trop restreints, mais de mettre, consciemment ou inconsciemment, à profit les avantages d'autres races. En Angleterre, une nouvelle époque commença pour l'apiculture en choisissant l'abeille italienne. Tout se mit à bouger: les ruches, les mesures des cadres, les méthodes de conduite, la façon de disposer les ruches. On discutait vivement de l'utilisation d'un ou de deux corps pour le nid à couvain. Il fallait trouver une solution. Mais je dois me limiter au secteur de l'élevage. Les autres sujets apicoles ne seront qu'effleurés dans la mesure où ils contribueront à donner des explications sur l'élevage. Certaines connaissances et des progrès techniques eurent une telle influence sur notre activité d'éleveur que nous les mentionnerons le moment venu. Notre climat et nos miellées ne sont pas aussi favorables qu'on ne le dit abusivement. Nous serions littéralement dans un paradis apicole, disait un apiculteur wurtembourgeois bien connu... Pour cette raison, pensait-il, il serait impossible d'obtenir des résultats semblables en les appliquant sans précautions, aux conditions de l'Allemagne du Sud. Ces gens se trompaient lourdement, au vu des résultats acquis à Buckfast et en Allemagne, et comparés à nouveau. Par un enchaînement de circonstances locales, géographiques et climatiques, nous sommes, au point de vue apicole dans le sud-ouest du Devon, dans une situation extrêmement défavorable. Le climat y est très instable, changeant. Les périodes de mauvais temps sont courantes, attestées par les importantes précipitations dont la moyenne s'élève à 1.650 mm par an, tandis qu'au sud de l'Angleterre elles ne sont, par an, que de 585 mm. Dans une vallée à 9 km au sud-ouest de Buckfast, les précipitations annuelles atteignent 2.600 mm. L'effet ne serait pas aussi défavorable si ces précipitations importantes se faisaient en peu de temps. Hélas, ce n'est pas le cas. Au contraire, pendant des semaines, le soleil peut rester caché et les abeilles ne peuvent voler. Chez nous, des années sans une seule bonne journée de miellée ne sont pas exceptionnelles. Souvent, il faut nourrir durant la moitié de la saison apicole. Mais le problème peut être inverse. Certaines années, nous avons dès la mi-juillet des prés aussi secs et arides que le Sahara. En 1975, il en fut ainsi. Généralement, les hivers ne sont pas aussi froids chez nous que sur le continent. Ils sont, par contre, extrêmement humides et pluvieux. Il est bien connu qu'une forte hygrométrie est le pire ennemi des abeilles. Des maladies de toutes sortes, particulièrement l'acariose et la nosémose, y trouvent des conditions favorables; et croyez-moi, nous parlons d'expérience. Nous avons deux périodes de miellée : le trèfle blanc qui fleurit de la mi-juin jusqu'à la fin de juillet. Puis, de la mi-août au 5 septembre, c'est alors la bruyère sur laquelle nous transhumons. Une miellée précoce n'existe pas chez nous. La miellée d'été peut être réduite à quelques jours à cause du mauvais temps. Seule une apiculture intensive, avec une abeille appropriée, peut conduire au succès dans ces conditions. Des colonies au maximum de leur force, saines et productives, capables d'utiliser à plein une miellée de quelques jours seulement, sont la condition préalable et indispensable pour atteindre un résultat valable. D'autre part, ce climat extrêmement hostile à l'abeille est favorable à une sévère sélection dans le domaine de l'élevage. Les maladies surgissent sans exception, ce qui n'est pas toujours le cas dans un climat favorable. Seules les ruches ayant une bonne hérédité donnent de bons résultats. Les conditions climatiques et de miellée sont, dans toutes les parties de l'Allemagne, au moins aussi bonnes que chez nous; dans beaucoup de régions, elles sont même incomparablement meilleures. [N.T. — La presse apicole allemande a souvent cherché à expliquer les résultats spectaculaires du Frère ADAM par des conditions de miellées exceptionnelles, d'où la référence à l'Allemagne.]
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